La SFN des origines à nos jours
- Collectionneurs et numismates avant la Société
- La naissance de la Société française de numismatique
- Les membres fondateurs (1865)
- Crise et consolidation
- La période de maturité
- Le dernier demi-siècle
- Les présidents de la SFN
L’intérêt pour les monnaies antiques et les médailles s’affirme dès le début de la Renaissance. Les princes, les humanistes se constituent, à côté de leur bibliothèque, un cabinet d’antiquités où les monnaies voisinent avec les pierres gravées, les bronzes figurés et les vases. Le Cabinet de Louis XIV, qui se trouvait d’abord à Versailles avant d’être plus tard installé à Paris, est à l’origine de l’actuel Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France : les séries de monnaies au portrait des empereurs romains y voisinent avec les pièces frappées par les cités grecques, qui posent souvent de difficiles problèmes d’identification. rs distingués, dont le plus célèbre, l’abbé Barthélemy a efficacement travaillé à la préserver pendant la tourmente révolutionnaire et a joué un très grand rôle dans la diffusion de l’intérêt pour l’antiquité grecque par son célèbre roman, Les Voyages du Jeune Anacharsis, qui décrit la vie dans la Grèce du IVe siècle av. J.-C., où les monnaies jouent un rôle non négligeable.
Dès le début du XIXe siècle, une curiosité croissante pour le Moyen Age attire vers les monnaies des séries féodales et des rois de France un nombre croissant d’aristocrates, d’amateurs fortunés, de notables qui trouvent dans leurs provinces des pièces de toutes sortes, difficiles à lire, à reconnaître, à dater. Leur passion commune, leur curiosité pour ces objets d’histoire les poussent à discuter avec d’autres amateurs, à confronter leurs hypothèses.
C’est ainsi que naît en 1836, la Revue de la numismatique française, au même moment que sa jumelle anglaise, The Numismatic Chronicle. La Revue est créée par deux membres de « la Société royale des antiquaires de France et de plusieurs autres Sociétés archéologiques françoises et étrangères » : le milieu est caractéristique et le titre choisi très significatif ; loin des monnaies anciennes, dont l’étude requiert une érudition réservée aux grands corps académiques, il s’agit de faciliter l’étude de « pièces difficiles à classer et jusqu’ici peu étudiées » qui relèvent de la tradition nationale, « médailles celtiques et gauloises, gallo-grecques et gallo-romaines », toutes celles « dont l’histoire se trouve mêlée avec celle des nos ayeux… jusqu’aux Croisades, et sous les princes français, empereurs de Constantinople » (introduction de la Revue, 1836). On reconnaît là une inspiration « troubadour », « toute patriotique », dont les limites vont très vite craquer devant les demandes des collectionneurs et des amateurs d’objets d’art qui souhaitent voir la Revue « étendre son cadre à la numismatique générale » : c’est chose faite dès le tome 3, malgré la crainte de ses directeurs de se « trouver trop en dessous de la tâche qui nous serait imposée ». Ils n’en réussissent pas moins à faire paraître les 21 tomes de la première série (1836-1856). La Revue étant aujourd’hui la propriété de la Société Française de Numismatique, on peut considérer que sa création est bien le premier acte de son histoire, d’autant plus que le projet de création d’une société savante dont l’objet serait uniquement la numismatique, avait été formé dès la première année de la Revue.
« Société Française de Numismatique et d’Archéologie », tel est le titre que se donne la nouvelle association créée en 1865, sous le Second Empire. Elle publie aussitôt un Annuaire, qui en explique l’objectif : « développer le goût de la numismatique et de l’archéologie, encourager dans les provinces les collectionneurs de monnaies locales, tenir nos collègues au courant des découvertes, fonder autour d’une bibliothèque spéciale un centre d’études et de relations ». Un double idéal la guide : « servir la science » et concrètement aider les numismates dans « leurs recherches et la composition de leur collection ». Ses ambitions sont immenses : elle « s’occupe de toutes les branches de l’archéologie qui ont rapport immédiat avec la numismatique, et notamment de la glyptique et de la sigillographie ». À cette fin, elle entend constituer un réseau de correspondants dans les sociétés historiques et archéologiques de toute la France, sans négliger les contacts avec l’étranger…
C’était exprimer parfaitement la mission de la Société, qui demeure toujours inchangée : les activités ont été développées, les méthodes perfectionnées, les moyens multipliés, les statuts adaptés à la démocratisation de la collection et de L’étude des monnaies. Aux noms des grands de ce monde ont succédé d’autres, rendus célèbres par les travaux qu’ils signent.
Son premier président, Gustave de Ponton d’Amécourt, était un esprit très curieux, qui avait publié un livre sur la « conquête de l’air » et créé les mots d’aviateur ou d’hélicoptère. Il avait acheté en 1857 un trésor de monnaies carolingiennes, qui constitue le noyau actuel des monnaies carolingiennes du Cabinet des Médailles. On compte dans le premier bureau d’autres collectionneurs qui ont laissé un nom. La Société fonctionne un peu comme un club, qui se réunit au début quatre fois par mois, dans ses salons voisins du Boulevard Saint-Germain : les membres y trouvaient une bibliothèque et une petit exposition de monnaies. Le nombre des membres croît rapidement, 280 en 1867, 550 en 1868, 650 en 1869, ce qui apparaît comme un maximum, déclinant dans les périodes de crise, retrouvé aux moments fastes, jamais dépassé.
- Gariel, Ernest (1825-1884)
- Lecomte, Ernest (18xx-18xx)
- Marchant, abbé (18xx-18xx)
- Ponton d’Amécourt, Gustave (1825-1888)
- Roman, Joseph (1840-1924)
Quatre ans après sa naissance la Société avait atteint le chiffre de 650 membres, qui semble être le chiffre maximum qu’elle retrouve toujours après certaines périodes de déclin imposées par les événements historiques. Ses premières années sont cependant marquées par une période d’instabilité : 6 adresses entre 1865 et 1897.
Les effets d’une rivalité désordonnée des différents acteurs de la numismatique entraînent à la fin des années 1860 une crise aggravée par les effets de la guerre de 1870 et l’effondrement du Second Empire. La Revue est désormais éditée par la maison Rollin, qui deviendra en 1860 Rollin et Feuardent, la direction scientifique revenant à J. De Witte et A. de Longpérier, dont les travaux en numismatique sur les empereurs romains et plus particulièrement les usurpateurs gaulois pour le premier, sur les monnaies françaises pour le second ont joué un grand rôle dans le développement de la recherche : ils consacrent leur énergie à la deuxième série (1856-1869/70, le tome XV et dernier comprenant des fascicules parus entre 1874 et 1877) jusqu’à ce que le déclin de leur santé les amènent à renoncer. Parallèlement, la Société avait lancé en 1868 son Annuaire de la Société Française de Numismatique dont les trois premiers volumes paraissent avant la guerre, le quatrième seulement en 1873, suivi d’un cinquième daté de 1877-1881, et d’une reprise régulière entre 1882 et 1896 : il ne survivra que de quelques années à son fondateur, le premier président de la Société.
Le nombre des membres décline : 192 en 1882, 97 seulement en 1897, les difficultés financières s’accroissent, du fait de publications malheureuses.
Pourtant l’aube de la renaissance est à placer en 1883. Trois très grands savants, membres de l’Institut (Académie des Inscriptions et Belles Lettres), auteurs de manuels et de catalogues encore régulièrement utilisés, redonnent vie à la Revue (3e série) : ce sont Anatole de Barthélemy, auteur du Nouveau Manuel complet de la numismatique du Moyen Age et moderne, Gustave Schlumberger, spécialiste des monnayages de l’Orient latin au temps des Croisades, qui fit don au Cabinet des Médailles de sa collection de monnaies et sceaux byzantins, et Ernest Babelon, Conservateur du Cabinet des Médailles et professeur au Collège de France, qui se fit connaître notamment par son Traité des monnaies grecques et romaines. La Revue est désormais dotée d’un comité de publication, dont fait partie W.H. Waddington, helléniste et diplomate, un temps ministre des Affaires Etrangères qui constitua une remarquable collection de monnaies grecques d’époque impériale, actuellement au Cabinet des Médailles et d’un délégué de l’administration, dont le premier fut J. Adrien Blanchet, qui en sera directeur de 1906 jusqu’en 1956 ! Co-auteur des Manuels de numismatique française, collectionneur, ce qui l’amènera à quitter le Cabinet, Adrien Blanchet sera également, en 1903/5 et 1911/2, président de la Société. Société, Revue, rapports étroits avec le Cabinet des Médailles, rencontres entre collectionneurs et savants, les différents fils sont désormais entrelacés qui permettent à la Société de remplir au mieux sa fonction au service de la numismatique.
1897 est une année importante : dotée de nouveaux statuts, devenue Société Française de Numismatique après l’abandon de la référence à l’archéologie, installée (jusqu’en 1932) dans les nouveaux locaux de la Sorbonne, la Société lie son destin à la Revue, que les membres reçoivent désormais et qui publie les procès-verbaux des séances : d’où le début d’une 4e série (jusqu’en 1936). Elle développe ses relations avec les sociétés sœurs à l’étranger, adhère à la Société internationale de numismatique (association qui a pris plusieurs formes depuis), organise à l’occasion de l’exposition universelle de 1900 un congrès international de numismatique et participe à ceux qui s’organisent à l’étranger, d’abord à intervalle irrégulier. Parmi les numismates qu’elle décore du titre de Membre d’Honneur, figure le roi d’Italie, Victor Emmanuel III, grand collectionneur de monnaies de son pays et le prince Louis de Battenberg, devenu Mountbatten. À partir de 1934, la Société décide d’offrir son jeton de vermeil à un savant étranger particulièrement réputé. Les plus grands noms de la science numismatique mondiale viendront ainsi recevoir leur jeton au cours d’une des réunions mensuelles : l’Anglais Hill, l’Américain Newell furent ainsi distingués.
Un don fait en mémoire du commandant Babut permet à la Société en 1932 de fonder un prix biennal, décerné « à un membre de la Société, pour un livre ou un mémoire sur notre numismatique nationale, ancienne ou moderne ». Toujours attribué, le prix Babut a signalé des contributions souvent remarquables. La Société est couronnée à plusieurs reprises par l’Institut de France (Académie des Inscriptions et Belles Lettres). En 1924, elle est reconnue d’utilité publique.
En 1937, l’arrêt des activités de la maison Feuardent oblige à chercher un éditeur à la Revue. La Société en prend directement la responsabilité, la propriété du titre restant aux directeurs : c’est le point de départ de la 5e série.
La guerre oblige d’abord la Société à interrompre ses activités. Mais en juillet 1941, un bureau provisoire composé de conservateurs du Cabinet des Médailles et de collectionneurs parisiens relance une activité qui est un dérivatif aux malheurs du temps. Les réunions se tiennent au Cabinet des Médailles, où la Société vient s’installer en 1945, après avoir fait un tour à La Monnaie de Paris : c’est ainsi que les réunions se tiennent désormais salle des Commissions. Dans ce noyau très actif, qui animera la vie de la Société pendant près d’un demi-siècle, figure un tout jeune conservateur, Jean Lafaurie, dont les curiosités vont de la monnaie romaine jusqu’au billet de banque, en passant par les mérovingiennes et les carolingiennes.
Les projets se multiplient, que seules les difficultés financières ralentissent. Le Bulletin de la Société est créé en 1945, malgré la rareté du papier, afin d’établir, par ses dix livraisons mensuelles, un lien plus étroit entre ses membres, plus familier aussi que la Revue. Les expositions-concours à la Monnaie de Paris, organisées à sept reprises depuis 1949, sont l’occasion de faire connaître les richesses de la numismatique en France. C’est dans le même esprit que la Société organise depuis 1956 ses « Journées numismatiques » qui lui offrent l’occasion de rendre visite à une société de province, de mieux connaître les collections souvent aussi riches que méconnues de tel ou tel musée, dont un catalogue est publié à l’occasion, bref de consolider les relations entre l’ensemble des collectionneurs et amateurs de monnaie dans tout le pays. Enfin, à partir de 1982, la Société entreprend la publication des Trésors antiques de la France (TAF).
Le long processus de rapprochement entre la Société et la Revue trouve son épilogue en 1958 : les directeurs transmettent à celle-ci la propriété du titre, ce qu’accepte une assemblée extraordinaire. C’est le point de départ de la 6e série. Les statuts de 1998 en confient la publication à quatre directeurs, dont, de droit, le Directeur du Département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France et trois directeurs élus par la Société pour un mandat renouvelable. Les même statuts accordent désormais le droit de vote à tous les membres qu’ils soient correspondants ou ordinaires.
Dans ses péripéties, son organisation progressive, l’histoire de la Société Française de Numismatique pourrait être comparée à celle d’autres sociétés savantes, fondées au XIXe siècle. L’étude de la monnaie lui donne sa touche particulière : la volonté d’associer collectionneurs de toute la France amateurs et savants, les liens privilégiés avec la collection nationale du Cabinet des Médailles témoignent de ce goût pour cette œuvre d’art chargée d’histoire qu’est la pièce de monnaie à travers toutes les époques.
- 1865/1888 G. de Ponton d’Amécourt
- 1889/1890 J. de Rougé
- 1890/1892 A. de Belfort
- 1892/1893 E. Caron
- 1893/1894 M. de Marchéville
- 1894/1895 E. Caron
- 1895/1896 M. de Marchéville
- 1896/1898 P. Bordeaux
- 1898/1900 H. de Castellane
- 1900/1902 M. de Marchéville
- 1902/1903 H. de Castellane
- 1903/1905 A. Blanchet
- 1905/1907 P. Bordeaux
- 1907/1909 A. Babut
- 1909/1911 L. Sudre
- 1911/1912 A. Blanchet
- 1912/1914 A. Babut
- 1914/1916 F. Allotte de la Fuÿe
- 1916/1918 A. Dieudonné
- 1918/1920 H. de Castellane
- 1920/1922 F. Allotte de la Fuÿe
- 1922/1924 A. Bouclier
- 1924/1926 J. Bailhache
- 1926/1928 R. Richebé
- 1928/1929 Ph. Moricand
- 1929/1931 E. Cazalas
- 1931/1932 Ch. Prieur
- 1932/1933 J. Bailhache
- 1933/1935 J. Coudurier de Chasseigne
- 1935/1937 E. H. Albert de Bary
- 1937/1939 E. Cazalas
- 1939/1941 H. Rolland
- 1941/1942 A. Blanchet
- 1942/1944 J. Babelon
- 1944/1946 P. Le Gentilhomme
- 1946/1947 H. Longuet
- 1947/1948 M. Baille
- 1948/1949 H. Longuet
- 1949/1951 P. Prieur
- 1951/1953 H. Longuet
- 1953/1955 J. Mazard
- 1955/1957 M. Dayet
- 1957/1959 J. Tricou
- 1959/1961 J. Lafaurie
- 1961/1963 J. Heurgon
- 1963/1965 J. Parent
- 1965/1967 P. Bastien
- 1967/1969 J. Yvon
- 1969/1971 H.-G. Pflaum
- 1971/1973 J. Guey
- 1973/1975 L. Chaurand
- 1975/1977 F. Dumas
- 1977/1979 A. Chastagnol
- 1979/1981 D. Nony
- 1981/3 Hélène Huvelin
- 1983/5 Michel Christol
- 1985/7 Claude Brenot
- 1987/9 Xavier Loriot
- 1989/91 Robert Étienne
- 1991/3 Michel Dhénin
- 1993/5 Sylvie de Turckheim-Pey
- 1995/7 Olivier Picard
- 1997/9 Jean Hiernard
- 1999/2001 Christian Augé
- 2001/3 Hubert Zehnacker
- 2003/6 Marc Bompaire
- 2006/9 Georges Gautier
- 2009/12 Jean-Pierre Garnier
- 2012/5 Ariane Bourgeois
- 2015/8 Michel Amandry
- 2018/21 Catherine Grandjean
- 2021/24 Sylvia Nieto-Pelletier
- 2024 Antony Hostein
Pour en savoir plus
P. BASTIEN, Discours inaugural des cérémonies du centenaire de la Société française de numismatique le jeudi 3 février 1965, Revue numismatique, 1965, p. 7-15.
G. LE RIDER, J. YVON, [J. Mazard, P. Prieur], La Société Française de Numismatique : 1865-1965, Revue Numismatique, 1965, p. 15-29.
J. LAFAURIE, La Revue Numismatique a 150 ans, Revue Numismatique, 1986, p. 7-50.
L. CALMELS, La Société française de numismatique a 150 ans : approche statistique, Bulletin de la Société française de numismatique, mars 2015, p. 58-61.
J. JAMBU, La Société française de numismatique : des collectionneurs antiquaires aux chercheurs érudits, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, avril-juin 2015, p. 849-866.
1924-2004. Centenaire de la reconnaissance d’utilité publique de la SFN, BSFN, 79-2, février 2024.