Jeton de vermeil 2021 – M. Bernhard Woytek
La présidente remet le jeton de vermeil 2021 à M. Bernhard Woytek. Auparavant, M. Arnaud Suspène a prononcé l’éloge du récipiendaire.
« Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les membres de la Société française de Numismatique, chers amis,
Le collège des trois derniers anciens présidents a souhaité honorer du jeton de vermeil de notre société Monsieur Bernhard Woytek, de l’Académie des Sciences d’Autriche, et m’a fait l’honneur de me demander quelques mots de présentation. Présenter Bernhard Woytek est une tâche à la fois facile et difficile. Facile parce que Bernhard est connu de tous ceux qui s’intéressent à la numismatique et à l’histoire ancienne. Difficile parce que son activité et sa production scientifiques sont si riches qu’on ne sait par où commencer, ni surtout où s’arrêter. Je me bornerai donc à mettre quelques points en avant dans ce parcours exceptionnel, sans trop choisir, car à vrai dire, on pourrait insister sur bien des choses.
B. Woytek, le numismate.
L’essentiel bien sûr est de rappeler l’oeuvre numismatique de Bernhard Woytek. Bien que jeune encore, puisqu’il n’a pas achevé son dixième lustre, Bernhard a déjà donné à la communauté numismatique deux opera magna, maxima même : Arma et Nummi en 2003, livre où il revisite non seulement le monnayage romain des années 49 à 42 avant notre ère mais aussi toute l’histoire financière de Rome à cette période, en mobilisant aussi bien les sources numismatiques que les inscriptions ou les textes littéraires, et ces derniers jusque dans le détail des manuscrits ; puis en 2010, Die Reichsprägung Des Kaisers Traianus, ouvrage qui remet en ordre tout le monnayage, si complexe et si délicat à dater, de l’optimus princeps. Ces deux livres sont issus de la thèse et de l’habilitation à diriger des recherches de Bernhard Woytek, et il est rare que des travaux académiques deviennent ainsi, d’emblée, des classiques de la discipline.
Pour autant, ces deux ouvrages ne sont que la partie émergée de l’iceberg. B. Woytek c’est aussi une foule d’articles dans les meilleures revues : notre Revue numismatique bien sûr, où il a publié trois longues contributions en 2008, 2014 et 2017 ; mais aussi la Revue belge de numismatique (3 articles), la Numismatische Zeitschrift (8 articles) et la Numismatic Chronicle (14 contributions !). Bernhard publie également dans les périodiques d’histoire ancienne les mieux installés, et je citerai simplement les quatre articles donnés à la prestigieuse revue allemande Chiron. Ce n’est là qu’un aperçu des articles de Bernhard ; et il faudrait encore ajouter à ce bilan les ouvrages qu’il a dirigés, comme l’admirable Infrastructure and Distribution in Ancient Economies, publié en 2019.
On ne peut qu’être impressionné par la variété des sujets traités, qui vont du monnayage républicain au monnayage provincial romain, de l’iconographie à la métrologie, de la terminologie numismatique à l’organisation de l’atelier, des études de coins aux bases de données, des techniques de fabrication jusqu’à la métallographie et à l’archéométrie. Car Bernhard Woytek se veut un numismate moderne, qui n’ignore rien des derniers développements de la discipline.
Enfin, depuis 2014, Bernhard a ajouté à sa palette une dimension historiographique et réflexive : il s’est en effet attelé à la publication de la correspondance de J. Eckhel, à qui il vient de consacrer un autre ouvrage collectif qui fera date, Ars Critica Numaria (Vienne, 2022).
Cette oeuvre si vaste ne doit pas faire oublier deux particularités remarquables dans le parcours de Bernhard, et d’abord sa dimension internationale.
B. Woytek, un savant international
Comme le savent tous ceux qui l’ont approché, Bernhard est un polyglotte accompli : féru de langues anciennes, et de langue maternelle allemande, Bernard parle aussi un excellent anglais au témoignage de nos collègues anglo-saxons ; beaucoup ici connaissent sa remarquable maîtrise du français, langue dont il aime particulièrement les redoutables subtilités ; et je vais trahir sans scrupule une confidence qu’il m’a faite un jour : Bernhard se sent plus à l’aise en italien qu’en français. Je vous laisse méditer sur cette information.
Ce goût pour les langues permet à Bernhard de se sentir partout chez lui et d’être partout le bienvenu. Il me plaît cependant de rappeler ici qu’il est non seulement francophone mais francophile. Les liens anciens qu’il entretient avec la Bibliothèque nationale de France par exemple, et notamment avec Michel Amandry, ont donné lieu à de nombreuses collaborations et à de nombreux séjours en France, et c’est aussi un honneur pour l’Université d’Orléans et pour le laboratoire IRAMAT qu’il ait accepté d’y être professeur invité en 2015, comme il l’avait été auparavant à New York, à Londres et à Oxford.
Ainsi, dans l’exercice de son métier, B. Woytek ne connaît pas de frontière. En cela il s’inscrit dans une longue tradition numismatique, ce dont il est pleinement conscient, et c’est le deuxième point que je voudrais souligner aujourd’hui.
B. Woytek et la tradition numismatique.
B. Woytek en effet est viennois. Il représente donc l’aboutissement d’une brillante lignée de savants autrichiens, qui ont illustré les études numismatiques d’une manière incomparable depuis plusieurs siècles. On pense bien sûr à Joseph Eckhel, mais aussi avant lui à Joseph Khell et encore avant à Erasmus Fröhlich, maîtres et fondateurs de la science des médailles, dont Bernhard contribue à perpétuer la mémoire. Mais ce serait réducteur de ne citer que ces grands anciens, malgré leur importance primordiale ; car Bernhard est aussi l’élève ou l’émule de numismates et d’historiens plus récents, comme Robert Göbl ou Gehrard Dobesch, qui ont eux aussi fait la gloire de l’Ecole de Vienne. Bernhard fait donc la preuve par l’exemple que l’on peut être un savant extrêmement moderne tout en cultivant avec piété l’héritage d’un long et prestigieux passé.
Le mot de piété n’est pas excessif je crois car le premier des grands livres de Bernhard, Arma et nummi, porte en épigraphe la célèbre formule attribuée à Bertrand de Chartres « nos esse quasi nanos gigantium humeris insidentes » : « nous sommes comme des nains assis sur des épaules de géants », une des plus élégantes façons de rappeler que, si nous voyons parfois plus loin et plus clairement que les anciens maîtres, c’est d’abord parce que nous profitons de ce qu’ils ont découvert et mis à notre disposition.
Du reste, dans cette filiation académique dont se réclame Bernhard se joue bien autre chose qu’une simple tradition ou qu’une simple manifestation de gratitude. Il y a également une revendication de méthode. Ce n’est pas seulement par souci d’exhaustivité que ses livres et ses articles comprennent des bibliographies si abondantes et qui remontent si loin : c’est par honnêteté intellectuelle et par conscience aussi que des informations décisives se trouvent encore dans les ouvrages anciens.
Ces quelques mots ne rendent pas justice au travail de Bernhard bien sûr ; mais j’espère avoir aidé les membres de notre société, en particulier les plus jeunes d’entre eux, à comprendre qu’en honorant Bernhard Woytek, nos anciens présidents ont voulu saluer un des citoyens les plus éminents de la moderne république des Médailles, cette belle communauté qui est une des incarnations les plus séduisantes de notre vieille Europe. »